La nuit est froide, depuis quelques jours les températures ont chuté, un homme marche l’air absent dans ce quartier glauque où il a trouvé un appartement après sa séparation.
Il est âgé d’environ 50-55 ans, d’assez belle allure, on le devine sportif ; les traits sont assez réguliers, on ne dira pas qu’il est beau, mais il a un certain charisme.
Il est pensif, il continue à avancer, il contourne l’Hôtel de ville, les travaux n’en finissent pas, cette tranche du métro a été momentanément stoppée, le budget a été dépassé pour cette année. La hantise dans ces chantiers est toujours de tomber sur un site archéologique qui laisserait les travaux à l’abandon. Pour l’heure, ce ne sont que les intempéries.
Une pluie fine commence à tomber, ses pas le conduisent vers le port ; il longe les quais, au bout d’un moment il heurte un obstacle auquel il n’avait pas prêté attention, absorbé qu’il était par ses pensées. Au moment où il se baisse pour vérifier ce qu’il avait bousculé, il entend un grognement, suivi d’un juron, c’était un S.D.F. qui tentait de faire sa nuit dans le recoin du quai, furieux d’avoir été dérangé. Il continue à avancer sous les invectives du pauvre erre.
Il contourne le port et s’engage vers les rues animées, vers 20 heures la circulation commence à être moins dense, les gens rentrent chez eux, les derniers bus retournent au dépôt.
Il rentre dans un bar et s’installe à une table, commande un sandwich et un café noir ; de toutes façons, ses nuits sont déjà difficiles à conquérir. Pas très loin, à deux tables de lui, une femme est assise, machinalement il la regarde, quelque chose chez elle a attiré son attention. Elle a le regard lointain, comme absent, une sorte de détresse au fond du regard, il ne sait pas pourquoi, mais elle le touche. Il ne sait pas quel âge lui donner, aux environs de 50 ans il suppose, peut-être un peu moins ; elle est charmante, le teint clair, cheveux courts frisés, châtains doré, silhouette mince, elle est vêtue d’un pull robe beige posé sur un pantalon noir, on ne voit que la pointe de ses escarpins. Il y a quelque chose d’insolite dans sa présence à cet endroit habituellement fréquenté par une clientèle un peu plus populaire.
Depuis sa séparation d’avec Blanche il n’a plus eu de relation sérieuse, chaque semaine il rencontre une amie avec qui il partage une intimité très passagère, mais aucun investissement de sa personne. Quand Blanche l’a quitté pour suivre cet homme qu’elle avait rencontré à une soirée « salsa » où elle était allée avec ses amies, il n’avait pas compris de suite ce qui lui était arrivé. Les enfants avaient terminé leurs études et étaient déjà partis de la maison, tout s’était réglé très vite, ils avaient vendu la maison assez rapidement.
Il réfléchissait à ses sentiments, il n’en voulait pas réellement à Blanche, il avait conscience que ses fonctions d’inspecteur de police judiciaire ne lui laissaient pas assez de temps pour une vie réglée sur mesure pour sa vie familiale, il s’y investissait beaucoup trop, toutefois il se sentait encore très attaché à son ex-épouse ou peut-être était-ce une illusion d’amour, depuis un an qu’ils étaient séparés, le divorce venait juste d’être entériné.
Il se détache de ses pensées pour regarder à nouveau cette femme, juste au moment où leurs regards se croisent, il sent comme des petits picotements, il veut les ignorer mais ne peut détacher son regard de ces yeux en amande qui le regardent. Elle lui adresse un petit sourire timide et se détourne vers sa tasse de thé agrémentée de quelques gouttes de lait.
Ce soir elle a décidé de quitter son avocat de mari après avoir découvert la liaison qu’il entretenait, elle ne sait depuis combien de temps, avec sa meilleure amie. Qu’il la trahisse, elle le soupçonnait depuis déjà pas mal de temps d’avoir des aventures et elle avait déjà compris qu’elle n’avait plus d’amour pour lui par le détachement qu’elle avait à cette idée, elle n’avait donc pas d’état d’âme à ce sujet ; mais son amie, celle à qui elle confiait tout, avec qui elle partageait tant de complicité, ça, elle n’avait pas pu le supporter, cette trahison l’avait achevée ! Elle avait donc décidé de consulter un confrère de son époux pour mettre en marche la procédure de divorce, lorsqu’elle lui a fait connaître sa position il n’avait émis aucune objection.
Elle en était là de ses pensées quand elle a remarqué cet homme qui la regardait, il avait le regard d’un homme blessé, machinalement elle lui avait souri, puis confuse s’était détournée.
Elle avait joué l’épouse modèle pendant 25 années, assisté à ces soirées qui l’ennuyaient pour entretenir la notoriété de son époux, participé à ces soirées de bienfaisance qui donnaient bonne conscience à ces « dames ». Elle privilégiait les visites qu’elle faisait, avec la plus grande humilité, à l’hôpital où elle avait travaillé dans ses jeunes années en qualité d’infirmière, là où elle pouvait donner un peu d’humanité à ces personnes qu’on disait « en phase de fin de vie ».
De nouveau, son regard croisa celui de l’homme qui la regardait, intéressé presque avec insistance, lorsqu’il se décida à se lever et à venir se présenter. Il était un peu embarrassé et s’excusait de la déranger, mais pouvait-il s’asseoir à sa table ?
Elle accepta, puis ils commencèrent à parler, de leur travail, de leur famille…., de leurs loisirs, leurs espoirs… en oubliant le désespoir qui paraissait vouloir s’éloigner, par la magie d’un soir, d’une rencontre, dont aucun d’eux ne savait ce que serait demain, ils se trouvaient aujourd’hui sur le même chemin et n’avait aucunement envie de se séparer, comme si quelque chose les liait………………..
Daniela